Contre la terreur et l'obscurantisme
Ghalib Al-Hakkak - agrégé d'arabe, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Quand on soutient Daech sans le savoir
Les attentats du 13 novembre suscitent chagrin et colère. Chagrin et tristesse face au drame, colère et amertume face à certaines attitudes et paroles. Quand dans les medias on amplifie la force de Daech, soulignant chacune de ses avancées, négligeant ses revers, affirmant avec facilité que l’organisation terroriste est « aux portes de Bagdad » ou que « la voie vers Damas » lui est ouverte après la prise de Palmyre, on renforce les efforts de recrutement du même Daech (1). Quand certains experts du terrorisme reprennent inlassablement des clichés destructeurs, disant que l’Islam considère les occidentaux comme des mécréants qu’il faut tuer, ils aident Daech. Quand on traduit sans nuance ni explication certains mots employés par les jihadistes, on tombe dans leur piège (2). Quand on fait des analyses géopolitiques sans perspective sur le Moyen-Orient où des forces émergentes se placent pour dominer une région riche en ressources naturelles et démographiques, une région dont l’histoire est truffée de souvenirs d’empire, on dévoie l’intelligence des auditeurs et des lecteurs. Il serait juste et légitime de rappeler que cette région abrite des capitales d’anciennes grandes puissances et leurs habitants d’aujourd’hui n’en ignorent pas l’histoire : Istanbul (Constantinople et Byzance), Le Caire, Bagdad, Damas, Médine, Ctésiphon, Babylone, Ninive… (3). Quand on accepte que le mot « musulman » efface celui d’ « arabe », pour identifier cette partie de la population de France qui est d’origine arabe, on trompe tout le monde. Où est la culture arabe dans les médias ? Que pèse la publicité donnée aux actions culturelles, au cinéma arabe, aux expositions, aux conférences, face aux manifestations religieuses ? On aimerait que le président de l’Institut du Monde arabe soit autant entendu dans les médias que certains imams, par exemple. Quand la société accepte que certains footbaleurs gagnent chacun des sommes égales aux bourses cumulées de milliers d’étudiants, comment s’étonner de voir grandir le désespoir dans certains esprits, les exposant aux sirènes de Daech ? Quand l’Education nationale renonce à avoir une politique d’enseignement de l’arabe, laissant à n’importe quelle association ou à l’Internet le soin de répondre à une attente forte, non seulement chez les jeunes d’origine arabe, mais chez leurs camarades, amis, voisins de toutes origines qui ont compris mieux que les politiques qu’apprendre certaines langues étrangères est indispensable pour leur avenir, surtout les langues de ces grandes nations qui habitent aux portes de l’Europe : Arabes, Turcs, Iraniens, Russes… Quand le débat sur l’école n’ose même pas écouter les jeunes, les premiers concernés, alors que des solutions pourraient émerger de cette écoute pour qu’enfin l’école brise les ghettos grâce aux groupes de niveau et s’ouvre à l’introduction de l’excellence dans tous les établissements scolaires (4). Quand le non-dit devient assourdissant, dangereux, ravageur : on parle de Daech, du terrorisme, du jihadisme, mais on s’interdit d’établir tout lien entre eux et les autres événements dans la région. Quand il n’y a aucune réaction officielle en Occident à l’extension des colonies en territoires palestiniens, on renforce sans le savoir la propagande du jihadisme. Quand on se tait face à un blocus qui dure sur Gaza, on aide inconsciemment l’extrémisme. Faut-il alors s’étonner de voir certains jeunes rêver de devenir des héros « là-bas », dans ce quasi « non-lieu » ? Un territoire de cinéma dont le cœur est en Syrie, mais dont les bras se prolongent ailleurs. Un lieu séditieux que bien des médias arabes richissimes essaient de légitimer avec perfidie, trompant d’autres médias en Occident. Un lieu présenté comme hors d’atteinte, où l’identité rejetée ici se trouve glorifiée, idéalisée. Un lieu où jouer les chevaliers de la Table ronde, les cowboys, Rambo, Che, à une époque où l’image domine le verbe, devient une tentation puissante. Pour devenir sportif de haut niveau, le parcours est long et douloureux. Pour devenir violoniste, danseur, écrivain…, que des sacrifices. Mais pour jouer avec les armes en toute impunité, c’est immédiat et c’est excitant. Continuons à développer la télé-réalité, à mélanger analyse politique, divertissement et rigolade. Mais ne soyons pas alors étonnés de voir tant de vies détruites par ces rêves fous, qui prétendent légitimer la haine de l’autre. Il faut oser. Oser expliquer d’où vient la pensée salafiste radicale et qui la finance. Oser la combattre par la culture, par le rappel de l’histoire. Oser repenser la politique à l’égard des Français d’origine étrangère, parce qu’une majorité de Français a un ancêtre venu d’ailleurs (5). Oser regarder l’avenir, pas 2017, mais 2100, quand l’Afrique comptera trois milliards d’habitants, quand le Moyen-Orient comptera plus d’habitants que l’Europe. Oser sortir de la pauvreté actuelle de la politique d’enseignement des langues en France. Oser une autre approche à l’égard des pays du Sud, les prendre pour partenaires et non pour de pauvres envahisseurs. Ghalib Al-Hakkak _____________________________________ (1) Il suffit pour s’en convaincre de regarder à nouveau certains reportages diffusés depuis un an sur les différentes chaines de télé. Quand Daech a pris Mossoul, les médias arabes qui lui étaient favorables parlaient de « thuwwârs » (révolutionnaires). Les médias occidentaux parlaient alors d’ « insurgés ». Presque personne ne disait « terroriste ». Cela a duré un mois, avant un changement brutal de langage. La presse irakienne dénonçait depuis le début une complicité médiatique d’envergure avec Daech, qualifié par certaines chaines puissantes d’ « Organisation de l’Etat » ou parfois appelé pour faire plus court « l’Etat ». |