Restons fraternels

 

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Ghalib Al-Hakkak - agrégé d'arabe, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Allahu akbar (publié dans Libération le 28 décembre 2014, avec pour titre : Comment peut-on hurler Allahu akbar ?)

Le traitement de l’information depuis un moment, et surtout depuis les agressions récentes à Joué-les-Tours, Dijon et Nantes, risque de réduire le sens de l’expression « Allahu akbar » à un slogan de haine, de brutalité, de terreur. Dois-je m’alarmer s’il est scandé par une personne dans la rue ? Que faut-il faire si je l’entends derrière ma porte ? J’ouvre ou j’appelle la police ?

Revenons un peu au sens exact de cette expression. Il s’agit en réalité d’une comparaison tronquée : « Dieu est plus grand [que quiconque] ». On pourrait la comprendre ainsi : Dieu est le plus grand. Autrement dit, le comparatif y a valeur de superlatif.

Mais en quelle occasion l’entend-on chez les musulmans arabes ? En dehors de la prière et de l’appel à la prière (le ‘dhân, chanté dans les villes musulmanes cinq fois par jour, jadis lancé du haut d’un minaret ou du toit d’une mosquée, et depuis quelques temps souvent à partir d’un CD), cette expression peut surgir n’importe quand et n’importe où, pour exprimer une admiration totale de quelque chose, tout simplement. Il suffit d’aller sur Youtube et d’écouter les chansons d’Umm Kulthûm pour repérer, après chaque couplet, quelques Allahu akbar bien audibles au milieu des applaudissements. J’avoue qu’en croisant dans la rue une très belle femme, un silencieux Allahu Akbar se déclenche dans mon cerveau. Face à la Joconde, il n’y a pas plus éloquent qu’un Allahu akbar. Une vieille tante essayant Skype pour la première fois s’est écriée : Allahu akbar ; elle a ajouté : le chrétien qui a inventé ça ira tout droit au paradis des musulmans ! Et que dire du gardien algérien de mon immeuble, il y a 40 ans, auquel j’essayais d’expliquer qu’avec mon épouse nous avions sauvé et élevé un petit merle tombé du nid et que cet oiseau n’était toujours pas habitué à rester dehors. Cet homme me regardait avec un doute visible sur ma santé mentale. Mais lorsqu’il a vu l’oiseau se précipiter de l’arbre d’à côté vers ma fenêtre qui venait de s’ouvrir, il n’a pu s’empêcher de crier trois fois : Allahu akbar ! Le miracle que cela représentait à ses yeux ne pouvait être salué d’une autre manière. Et on peut multiplier les exemples, face à un paysage, à l’écoute d’un poème, d’une musique, en réaction à un geste généreux, à la réception d’une bonne nouvelle, à la vue d'un but spectaculaire… Dire Allahu akbar va souvent avec l’idée de « génial, parfait, merveilleux, sublime, splendide, grandiose, magnifique, extraordinaire, superbe, fantastique, incroyable... »

C’est une belle expression, apaisante et rassurante, injustement confisquée aujourd’hui par les forces de la haine et de l’obscurantisme. Et je suis persuadé qu’une fois notre monde débarrassé de cette vague anormale de violence et d’exclusion au nom de l’islam, un énorme Allahu akbar traversera les esprits, chez les Arabes musulmans du monde entier avides de retrouver leur liberté totale de penser, leur amour du beau, leur solidarité sociale naturelle et leur sens inné de la fraternité.

29 décembre 2014